Une marche à suivre pour les ateliers de déconstruction mentale

(ceci est un exemple, vous pouvez copier, vous en inspirer, changer la méthode)

 

« Les mots sont, bien sûr, la plus puissante des drogues de l’Humanité » Rudyard Kipling

« Ne laissez pas les mots penser à votre place. Ayez une parole habitée » Krishnamurti

L’idée d’un atelier de déconstruction mentale m’est venue après la première #nuitdebout à Toulouse.
Je suis intervenue brièvement pour parler du bug dans la création monétaire, puis une deuxième fois pour dire qu’il valait mieux donner envie que faire peur, qu’on avait maintenant pas mal d’outils en main « pour changer le monde » après des prises de parole qui me semblaient passéistes et connotées. Je dis bien qui me semblaient, parce que c’est formidable tous ces citoyens réunis, il y a là une force extraordinaire. Il se passe quelque chose d’important dans ces nuits sur les places publiques. J’écoute aussi ce qu’il se passe à Paris et dans d’autres villes. L’énergie qui se dégage de ces rassemblements est impressionnante. Il y a une telle diversité de gens, d’âges différents, d’univers différents et cette volonté de s’écouter, malgré les divergences et les opinions bien marquées, cette volonté de partager, cette volonté de trouver des solutions et des alternatives à nos sociétés souffrantes. Mais j’écoutais aussi les mots, et je trouvais beaucoup de mots tout prêts, des mots ressassés, des mots piégés, des mots vides, des mots creux, des mots pas à nous.

Et donc, sur le réseau Facebook, j’ai écrit le soir même :
« Ça va tout de même être compliqué ‪#‎nuitdebout‬ y’a comme un chaînon manquant … À suivre »

Et le lendemain, j’ai écrit :
« Hier soir après ‪#‎nuitdebout‬ je pensais qu’il manquait un chaînon manquant pour aboutir à un réel changement libérateur. Ce matin, je ne sais toujours pas quel est ce chaînon manquant.
Mais comment dire, je ressens comme une colonisation des esprits en général. Difficile de penser hors des cadres et des années de lavage de cerveau. En train de penser de proposer des ateliers de déconstruction mentale pour interroger nos connaissances. Qu’est que l’Etat, un parti politique, une société, un bien privé, un bien public, un bien commun, qu’est-ce que le salariat, une entreprise, qu’est-ce qu’est la monnaie ? Etc etc … Penser à la racine des choses en enlevant les idéologies et autres ismes. Nous avons l’esprit colonisé qui nous empêche de penser. Il ne peut donc y avoir de solutions nouvelles et vitales dans le vieux cadre de pensée qui nous enferme et nous enchaîne. »

J’ai donc proposé le soir même un atelier de déconstruction mentale. Nous étions dans les 50 personnes. Un second a suivi le lendemain avec encore plus de monde. Ce n’est que le début, du moins je l’espère.

Alors comment fait-on ? Je dois avouer que j’ai totalement improvisé. Voici donc une possible marche à suivre, je vous raconte comment j’ai fait.

Matériel : de grandes feuilles de papier, des feutres et des êtres pensants (oui, on pense avec des mots)

Selon le nombre de participants, une ou deux personnes animent l’atelier.
L’animateur ou l’animatrice devra être le plus possible sans trop de tabous, ouvert d’esprit et bienveillant. Il ou elle devra être à l’écoute des stéréotypes derrières les mots et repérer ces mots.
Les mots sont bien souvent chargés d’émotions, pas tous, mais certains oui. Si l’animateur ou l’animatrice a trop d’affect avec un mot, il vaut mieux déléguer le rôle pour ce mot là. Sinon il y a un risque de ne plus pouvoir garder sa bienveillance et de trop intervenir dans les discussions.
Il est cependant recommandé de participer aussi et de donner son sens au mot, si on le désire.

Une discussion informelle démarre sur le sens des mots et notre imaginaire colonisé, etc …
L’animateur ou l’animatrice repère un mot « piège » dans cette discussion et le propose comme mot fil rouge. Sil ne convient pas à tous, on choisit un autre mot.
A Toulouse, nous avons choisi comme premier mot, le mot société. À partir de là, chacun a donné un autre mot auquel il pensait en lien avec société. On a plus de 50 mots à l’heure actuelle. Nous avons rajouté des mots à la liste au second atelier avec les nouveaux participants.
Ensuite on part dans l’ordre d’inscription des mots et on commence par se demander s’il a une connotation positive ou négative ou neutre. On demande à l’assemblée « qui trouve ce mot positif ? Négatif ? Neutre ? Ensuite, chacun lève la main à tour de rôle pour exprimer son ressenti avec le mot, pour exprimer le sens qu’il lui donne en rapport avec le mot central choisi. Et la discussion est partie. Attention, il est souvent nécessaire de recadrer sur le mot fil rouge, ici société, sinon, on part sur d’autres signifiants, quoique on peut aussi laisser filer les divers sens. A adapter donc selon les circonstances.

Il est intéressant dans la discussion de relever des mots « pièges » qui peuvent être décortiqués, ils sont à noter pour plus tard, si on ne prend pas le temps tout de suite. Ils pourront devenir de nouveaux fils rouges pour d’autres ateliers.
Par exemple, nous avons déconstruit le mot démocratie. A moment donné, nous sommes revenus à l’étymologie, le pouvoir du peuple. Mais qu’est-ce qui se cache derrière le mot pouvoir ? Le mot peuple ? S’il y a un peuple, y’aurait-il un non-peuple ? Les représentants du peuple font-ils partie du peuple ?
Quand nous avons travaillé sur le mot culture est apparu le mot populaire. Mot à noter.
Le mot, « les travailleurs » est apparu aussi quand on était sur le mot capitalisme. Qu’est-ce « les travailleurs ? La masse a répondu quelqu’un. Et c’est quoi la masse ? Etc etc

Chacun raconte donc ce qu’il entend dans le mot. On revient souvent à l’étymologie, à la naissance, à l’histoire du mot, comment il est utilisé dans d’autres pays, d’autres civilisations, dans le passé. Le mot culture, nous a fait beaucoup cogité à l’échelle internationale.
Nous avons décortiqué le mot « la politique », en passant de la cité, à la gestion de la cité, aux décisions à prendre pour gérer la cité, d’une petite cité à une grande cité, à un pays avec des millions d’individus, auto-gérable ou besoin de déléguer, etc, puis certains ont dit « mais c’est ce que nous faisons là, nous faisons de la politique », puis à la fin, on a dérivé vers le politique, là on s’est lâché, c’était le dernier mot pour cette soirée.
Pour le mot culture, on avait bien recadré sur société. On est passé de la culture de masse, à la culture élitiste, aux traditions, aux us et coutumes, au multi-culturel, etc. On a trituré pleins de possibilités du mot, puis quelqu’un a parlé de la terre et on a fini sur ce qui pousse et s’élève, ce qui déracine et enracine. Il était bon de laisser filer le mot.
Un autre exemple particulièrement significatif. Le mot liens. La première pensée générale a été de le classer en positif, les fameux liens sociaux. Il faut faire des liens pour faire société. Un petit temps de silence. Puis quelqu’un a dit, mais cela peut être aussi aliénant. Ah oui, mais c’est quoi ces liens en fait. Les as-t-on choisi ? Choisit-on les liens familiaux ? Non. En est-il de même des liens pour faire société. Et nous avons trouvé les liens subis dans les échanges marchands, les liens avec la loi, les liens de subordination dans le travail. Et d’autres. Mais peut-on rompre ces liens comme les liens du mariage ? Sommes-nous aliénés ? Peut-on se désaliéner ? Serions-nous plus libre si on pouvait nouer et rompre des liens comme on l’entend ? Quels sont les liens indispensables ? Sans liens, peut-on survivre ? La société se délite alors. Comment recréer des nouveaux liens ? Etc, etc, etc … nous avons épuisé le mot. On sait quand le mot est épuisé, plus personne n’a rien à dire. Laisser tout de même un petit temps, quelqu’un peut encore rebondir avec une nouvelle idée ou peut avoir besoin d’éclaircir encore certains concepts. Le mot liens a perdu son caractère positif et est devenu neutre avec un grand point d’interrogation.

Quand donc on a épuisé le mot, on essaie de le classer en positif, neutre, négatif ou on laisse un énorme point d’interrogation, qu’on peut rajouter aussi au positif, neutre, négatif.
Et on recommence avec un nouveau mot.
C’est donc un atelier qui ne peut se faire en une fois, on doit prendre le temps. Mais on a le temps, on a les #nuitdebout ! 🙂

C’est passionnant de démanteler les mots à plusieurs, c’est réjouissant même. Un horizon se lève. On ne sait pas très bien quoi, mais on a ajouté de l’intelligence à la compréhension du monde. Le mot n’est plus ce qu’il était, il n’est plus figé, il s’est étendu dans l’espace et dans le temps. On peut être perdu même, un léger flottement dans le vide, ce que l’on pensait stable se dérobe.
Il sera donc judicieux de penser à construire après, ne pas rester dans le vide. Cela pourrait être le lieu d’un nouveau dictionnaire évolutif. Le lieu d’un apprentissage d’une nouvelle parole, libérée des carcans. Le lieu d’une mise en pratique dans ses activités.
« Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action » disait Hannah Arendt. Tout reste à imaginer et bienvenue à toutes les idées pour déconstruire et reconstruire !

Et peut-être qu’un jour cette phrase de Tchouang-Tseu nous parlera : « Les mots servent à exprimer les idées ; quand l’idée est saisie, oubliez les mots. »

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