« L’émancipation, elle, commence quand on remet en question l’opposition entre regarder et agir, quand on comprend que les évidences qui structurent ainsi les rapports du dire, du voir et du faire appartiennent elles-mêmes à la structure de la domination et de la sujétion. » Jacques Rancière

Préambule :
Ce texte traîne depuis des mois dans mon disque dur, incapable de le publier, car j’ai l’impression de nager à contre-courant, de nager à contre-vent. Et l’impression d’un inachèvement, laissant des blancs un peu partout, des non-dits. Si je le publie ce jour, c’est dû au surplus d’émotion qu’engendre les actualités récentes chez nombre de personnes. Même si a priori, ce texte n’a rien à voir avec l’actualité guerrière, il me semble y voir le nœud qui nous noue et nous empêche de progresser en tant qu’humanité. A chacun d’y voir ce qu’il veut y voir.

En pleine mutation je suis, ou plutôt je m’en rends compte, je crois bien avoir toujours été en mutation, jamais arrivée. Tous ces voiles à ôter, c’est un chemin sans fin, on croit en avoir fini, mais non, une autre illusion se présente. Déconstruire, toujours déconstruire. Mon chemin, c’est trouver la ligne d’équilibre, féminin, masculin, yin, yang, sans aucune forme de domination. Sortir de toutes les dominations, ce qui implique de tout faire pour ne pas dominer, ni être dominé, ce qui implique de voir la réalité sans aucune complaisance, ni avec soi, ni avec les autres. Ce n’est pas juger, c’est observer.
Nous sommes tous dominés, hommes, femmes, enfants, depuis des siècles et des siècles. On ne sait même pas quand cela a commencé. Et nous sommes tous dominateurs à des degrés divers, comment pourrait-il en être autrement ? La voie de l’émancipation commence par cette observation.
Après nous pouvons décortiquer les formes d’esclavage, les formes de servitude et l’appétit insatiable des maîtres. Au premier abord, tout cela nous est caché. Refoulé. Les sociétés fonctionnant avec ces structures dominés dominants, il est très difficile de s’en rendre compte, et d’en rendre compte. Personne n’aime être percé à jour dans ses mécanismes de dégradation. Car oui, nous sommes des êtres humains, pas encore humains, dégradés dans nos dignités. La dignité humaine n’est pas encore de ce monde.
C’est donc naturellement, tout en gardant une vigilance active sur notre contemporain, que je suis allée fouiller dans l’histoire, qui n’est finalement qu’une grande lutte pour l’émancipation. Voir au delà de l’histoire officielle, qui n’est presque que celle des maîtres, les guerres, les conquêtes, la mise en esclavage et répression des rebellions, tout cela est très sanglant. De tout temps, des êtres humains ont ressenti les chaînes et ont tenté de s’émanciper (rien que le seul 19ème siècle est assez éclairant). Peut-être certains y sont arrivés individuellement, mais collectivement rien à faire. L’histoire n’est pas linéaire. Quelques luttes gagnées, puis on repart dans l’obscurité. On n’y arrive pas ! Alors il est où ce nœud qui nous maintient paralysés ? Peut-on avoir encore quelque espoir d’avancer vers cette dignité à atteindre ? Et la réponse pourrait être oui !
Il y a une catégorie de dominées depuis des siècles et des siècles, qui s’appellent les femmes, oui, dominées par les hommes, oui et l’histoire de leur fragile émancipation est à connaître et nous ouvre les portes. Et là, je ressens déjà un malaise, car je sais maintenant le mépris, la méconnaissance complète de l’histoire de nos aïeules, je sais qu’en s’exposant et en osant parler de la liberté des femmes, on va être soumise à l’opprobre. Cela paraît incroyable, aujourd’hui, mais dès qu’on ouvre les yeux, on voit, on entend. Et les ricanements, les « écharpements », les violences, viennent certes plus de la part des hommes, mais des femmes aussi. Bien sûr, on peut dire avec l’accord de tous, que c’est dingue que les saoudiennes n’aient pas le droit de conduire une voiture, mais si l’on dit qu’il était indispensable d’enlever, vous savez, vous vous souvenez, cette petite case à cocher sur les formulaires administratifs, ce petit mademoiselle, sans valeur juridique, qui oblige la femme à se positionner par rapport à un homme, alors que l’homme n’a pas cette obligation, et bien si on dit ça, rien que ça, une violence verbale inouïe se déchaîne. Qu’est-ce qui cloche ?
J’admire le courage des féministes, d’oser dire déjà et c’est énorme. Ceci n’était qu’une parenthèse, car ce texte ne parle de féminisme, mais de courage qu’il faut pour sortir des fers. Les mouvements d’émancipation des femmes sont un bel exemple de ténacité, de force, pour traquer sans faillir les systèmes de domination, dévoiler le sens caché des évidences, retourner les pensées idéologiques … et ceci sans guerres meurtrières.
Ce que je vais dire, d’autres l’ont dit bien avant moi, mais c’est de mon cheminement dont je parle. Pour être comprise, quand je dis hommes, je ne dis pas tous les hommes, quand je dis femmes, je ne dis pas toutes les femmes. Les mots sont difficiles. Je parle de masculin et de féminin, et non pas d’hommes et de femmes, bien que, une sorte de masculin soit plus présent chez les hommes et une sorte de féminin plus présent chez les femmes. Nous avons tous en nous ces deux pôles et il est maintenant urgent de les trouver, de les voir et de les équilibrer. Le masculin dominateur a fait bien trop de dégâts et nous arrivons à la limite de ce que nous humains pouvons supporter, de ce que la terre, la nature peut supporter. La terre, dite terre mère, est féminine.
Il n’est pas plaisant pour le masculin, de mettre en lumière, les réalités et les « idées » de bataille, de conquêtes, de combats, de guerres et donc de violence. Tous ces mots ont imprégnés nos esprits, nos discours. Partout, dans le commerce, dans la politique, dans les milieux militants (militant … militaire), partout, on se bat, on combat, on lutte, partout, on conquiert et des parts de marchés et des territoires et des femmes.
Alors, comment se comporter en tant que femme, osant chercher l’émancipation, aujourd’hui, sans rentrer dans le conflit avec les hommes ou avec les femmes ? Comment ? C’est vraiment ma grande question personnelle. Comment régler ce conflit entre masculin et féminin ? Parce qu’il est là le grand conflit ! ( En soi-même déjà, c’est évident. Je ne parlerai pas ici spécialement de mon aventure intérieure, elle ne regarde que moi et n’a pas à être mise en mots)
Je voudrais parler en fait de virilité, attribut de l’homme, du mâle, non de la virilité sexuelle, de l’homme fort de son érection, ou de la femme au clitoris gonflé (Il faudra bien parler de sexualité aussi, le tabou des tabous, qu’on croit « détabouïsé » par la pornographie, mais là n’est pas le propos de ce texte.)
Je parle de la virilité qui vient du sanskrit viir force …  (et curieusement retournement du verbe qui veut dire diviser, briser en morceau, fendre!  (http://sanskrit.inria.fr/MW/247.html et http://sanskrit-words.blogspot.fr/2008/04/virlie-viir-il-and-viir-il.html ) car dans le leurre patriarcal, l’étymologie du mot a été tronquée, faussée.
Cette virilité, nous en avons tous besoin, hommes et femmes, pour briser les cuirasses, briser  nos cuirasses. Jusqu’à présent cette force a servi à asservir, a servi à conquérir les territoires extérieurs,a servi à lier le « féminin » avec des chaînes. Fendons alors ces chaînes pour libérer l’autre force, la force de douceur, d’abandon, la force d’amour … et trouver l’équilibre.
Sans cela, je ne vois pas comment nous pourrons arrêter les guerres et toutes les dominations atroces sur les êtres et tout le vivant. Il nous faut maintenant aiguiser nos couteaux et  nos armes pour trancher, à vif s’il le faut, dans tous les faux semblants, les faux prétextes. Et c’est douloureux, oui, la douleur ne peut être évitée. Ceux qui prêchent l’amour en souriant béatement, sentimentalement immergés dans du néo-spiritualisme bourgeois, font fausse route. Ces  mots peuvent paraître durs, je sais. Et pourtant, pourtant, j’en arrive à penser que cette force virile, conquérante, peut nous être utile pour aller ouvrir les cœurs, traquant sans complaisance la peur, toutes les peurs, et surtout celles qui se cachent. En nous déjà, mais aussi chez les autres, qui sont quelques part une part de nous-mêmes. Si j’arrive à mettre à jour la poutre qui est en moi, je peux m’autoriser à mettre à jour la paille des voisins.
Je crois bien que nous avons vraiment peur de vivre, peur de s’ouvrir aux forces du vivant, et tous et toutes nous avons bridés depuis si longtemps cette force de la matière, cette force qu’on pourrait dire féminine, cette force qui nous vient de la terre. Nous avons coupé les ponts avec cette force d’ouverture, d’ouverture au vivant. Pour construire, reconstruire ce lien, nous n’avons pas beaucoup de choix, à part faire preuve de virilité, de courage, de se lever et abattre sans faille les armures de protection érigées contre le vivant. Il s’agit de retrouver en nous la force d’érection pour pénétrer au coeur du vivant … et nous désarmer enfin.