Là sur mon lit de mort, ça résonne.
Là sur mon lit de mort, ça raisonne.
“Arrête de poser des questions !”
J’ai gagné, oui, j’ai gagné, j’ai gagné ma vie. Pas comme au Loto, non, ce n’est pas le hasard. Pour gagner, j’ai bouché mon cœur. Il fallait bien, sinon je n’étais rien.
“Tu dois te faire ta place” ils disaient, ils répétaient, ils martelaient, à la maison, à l’école, dans les rues, les affiches, les slogans.
Et je me souviens, enfant, je répondais : “mais pourquoi ?”
“Parce que tu dois gagner ta vie”
“Gagner ma vie ? C’est un jeu alors la vie, il y en a qui perdent ?”
“Arrête de poser des questions, travaille”
Je ne voulais pas moi, non, je ne voulais pas, j’ai rechigné, regimbé, jusqu’au bout de mes possibilités. Mon cœur disait, non, non, non, c’est pas ça la vie. C’est pas ça la vie …
J’ai pleuré, qu’est-ce que j’ai pleuré ! Rejeté, à la rue, sans un sou, de squat en squat, je revendiquai, je ne suis pas un battant, je suis libre et mon cœur est ouvert. Mais ils m’ont eu. Oui, ils m’ont eu.
J’ai eu un éclair de colère. Un grondement énorme qui a tout avalé.
Et là sur mon lit de mort, ça résonne.
Et là sur mon lit de mort, ça raisonne.
Un grondement énorme.
Ils m’ont eu.

Du jour au lendemain, fini l’artiste, fini le cœur qui palpite. J’ai décidé de gagner. Il fallait tout couper, la pitié, l’attention, le regard, l’intention, le fond, le temps qui fuit.
J’ai décidé de gagner.
Tout est allé très vite, incroyable même, je n’aurai pas crû cela si facile. D’une simplicité absolue. Il suffit de boucher le cœur.
Et j’ai piétiné, tout piétiné, tout écrasé, sans aucun remord. J’ai gravi les échelons, et tous tombaient autour de moi. Un à un, je les revois maintenant, je les revois encore, là, sur mon lit de mort.
Ah, ils voulaient que je fasse ma place, puisqu’elle n’y était pas à ma naissance, ah, ils voulaient que je joue des coudes, puisqu’il fallait écarter les autres. Et bien, je l’ai fait. Ce n’est pas difficile, si le cœur est bien bouché.
J’ai été un as de l’échelle, un vrai athlète, quatre à quatre l’échelle. Je n’ai pas eu besoin de coach, seul, comme un grand, j’ai su faire, avec le cœur bien calfeutré.
Déjà, se sentir gagnant avant de l’être, une supériorité immense vous envahit, comment dire, vous êtes exceptionnel, vous êtes le winner, ça aide. Attention, pas de faux pas, bouchez bien le cœur. Les autres, des perdants, tous des perdants, si vous les voyez gagnants, raté, vous resterez au milieu de l’échelle, situation très inconfortable.
Et puis, les courbettes vicieuses, les sourires en cul de poule, le bon mariage, les croche-pattes, les colères qui intimident, la voix forte, du travail, oui beaucoup de travail, et même beaucoup de travail très très bête. Ne pas se poser de questions !

“Arrête de te poser des questions! ”
Là sur mon lit de mort, ça résonne.
Là sur mon lit de mort, ça raisonne.

J’ai tout eu, tout eu, avec l’envie des voisins en prime. Fier comme un Empereur, regardant de haut le monde des petits, des crèves la dalle, des moins que rien, que rien. Des plus riens du tout avec le cœur béant.

J’ai tout eu.
“Mais pourquoi ?”
“Parce que tu dois gagner ta vie”
“Gagner ma vie ? C’est un jeu alors la vie, il y en a qui perdent ?”
“Arrête de poser des questions”

Et là sur mon lit de mort, ça résonne.
Et là sur mon lit de mort, ça raisonne.

J’ai le cœur qui se déchire, j’ai le cœur en vrille. Je ne sens plus rien, qu’un cœur béant, les yeux qui se font chiens, les yeux battus, les yeux qui tentent de regarder ces gens, ce personnel soignant. Je cherche leur regard, une reconnaissance, qui suis-je, je vais mourir, qui suis-je, regardez-moi. J’ai le cœur qui se débouche, vous le voyez ?

Non, c’est trop tard.