Toc, toc …Qui souffre ?
Entrez, bienvenue au cœur de la souffrance. Venez voyager un peu au creux de mes abîmes.
Entrez, entrez donc, ne restez pas sur le seuil, il pleut dehors.
Venez vous séchez, dans mon antre, c’est brûlant.
Voilà, merci de votre venue, prenez place.
Je sais, vous ne voulez pas voir, je sais, vous ne voulez pas savoir.
Mais vous êtes là, encore heureux d’hier, enthousiaste à l’idée de venir me parler. Je sais, vous me fuyez, mais vous êtes là.
Qu’allez vous tentez ?
Vous voulez me déstabiliser, me faire tomber, m’annihiler, essayez donc, nous sommes là pour discuter. Je vous offre un thé ?
Quoi, vous riez encore ? Ne suis-je donc rien pour vous ? N’avez-vous jamais eu mal ?
Jamais ? Et les autres ? Vous vous en fichez. Vous leur dites quoi aux autres, à ceux qui souffrent, vous les narguez du haut de votre joyeuse générosité ? Votre sourire peut-il suffire ?
– Non, c’est l’amour.
Ah, vous parlez enfin, l’amour, vous dites ? Puis-je rire à mon tour ? L’amour, mais que connaissez-vous à l’amour ? Rien, oui, rien, si je puis me permettre. Sous votre air rieur se cache l’insoupçonné, se cache l’indicible, croyez-vous vraiment être amour ? Croyance que tout cela !
– Mais, je suis amour.
Et savez-vous donc le mal que vous faîtes ? A tous ceux qui ne peuvent croire, à tous ceux qui pleurent, à tous ceux qui boitent, à tous ceux qui cherchent, votre belle insolence les remplit d’un goût amer. Votre sourire les mortifie, votre mine béate les anéantit, les renvoie au plus profond de leur souffrance. Chez moi, ils viennent par millions. Ils pleurent, ils gémissent, ils supplient.
Ah, vous êtes interdit, là ? Que connaissez-vous donc à l’amour ? Avez-vous tout donné ? Répondez, s’il vous plaît ! Avez-vous tout donné ?
– J’ai donné tout ce que je pouvais
Tout ce que vous pouvez ? Allons, donc, ce n’est pas sérieux. Si vous étiez tout amour, vous seriez dépouillé, à nu, libre et sans entrave. Vous auriez tout donné. Votre compte en banque, vos livres édités, votre grande et belle maison, tout cela, vous le possédez encore.
– Il faut bien une assise pour distribuer
Non, le monde est instable, la vie est instable, et vous, vous êtes garnis de votre suffisance, vous donnez la parole empoisonnée, vous mutilez ceux qui cherchent à aimer. Vous leur imposez votre double mensonge. Vous êtes un coach de pacotille, car vous voulez ignorer la souffrance. Vous prêchez par de vains mots, même vos silences font outrages. Vous pleurez ? J’en suis fort aise, il n’est point de meilleur lieu.
– Pourquoi vous en prenez vous à moi ?
Mais c’est vous qui êtes venu, de votre plein gré. Je vous le rappelle … Pourquoi donc être venu, je vous renvoie la question.
– Je suis venu pour comprendre la raison de votre existence
Et bien, vous allez peut-être comprendre … Essayez d’être sincère, vous ne souffrez vraiment jamais ?
– Si, parfois
Alors, pourquoi vous ne le dites pas !
– Pour ne pas faire souffrir les autres
Vous mentez ! Vous avez misé votre vie sur l’attraction du bonheur, vous vous êtes forgé une croyance et pour rester confortablement assis, vous vendez votre illusion. Et vous n’êtes pas ce que vous croyez être. Vous n’êtes pas amour, non, vous êtes perdu sur le chemin des bonimenteurs, et vous avez presque réussi à vous convaincre vous-même. Mais si vous êtes venu, il y a encore une chance. Le pire, c’est que vous entraînez pas mal de monde avec vous. En vous détournant du malheur, vous créez et soutenez la misère. Voyez, j’ai un peu de trop de monde en ce moment, il y a des limites à ne pas franchir. Occupez-vous donc de vos prochains, révoltez-vous, assez de vos insipides moiteurs paradisiaques. Vous voyez au moins le monde que vous êtes en train de préparer, vous voyez, vraiment. Regardez !
D’un côté les repus, qui font semblants d’être heureux, qui s’agitent de partout pour tenter d’être eux-mêmes, et de l’autre, les miséreux, si misérables, que vous ne les voyez plus. En un tour de passe-passe, vous les avez fait disparaître.
– Désolé, je m’en vais
Ah non, vous ne partirez pas comme ça, je ne vous demande pas de souffrir, je vous demande de prendre en compte la souffrance, moi, en l’occurrence ! Je les représente toutes, je suis leur porte parole, alors, profitez en, dites-moi ce que vous avez à me dire. Profitez en, c’est une chance.
– Je n’ai rien à dire, mais selon ma philosophie, vous vous fourvoyez, la vie est ce l’on pense, si vous êtes joyeux, plus aucune souffrance ne vous atteint.
Que dites-vous à un enfant de deux ans qui meurt de faim ? Vous lui dites d’être joyeux au lieu de lui donner à manger ?
– Assez, je pars
Et bien partez ! Bonne chance ! Un jour, oui, un jour, vous comprendrez qu’il est impossible d’éviter la souffrance d’autrui. Mais si, par hasard, vous avez raison et que vous puissiez me fournir la preuve, ma porte est ouverte !