Est-ce les marchands de nouveautés, qui ont envahi la sphère du commerce, qui nous ont petit à petit, et de plus en plus, baigné dans l’esprit “air du temps” ?
L’air, c’est bien connu, pour être respirable doit sans arrêt se renouveler. Le temps, ce grand tyran qui passe inéluctablement, ce grand tyran auquel on ne peut échapper, nous nargue dans son monotone décompte, minute après minute.
L’air du temps, c’est donc cette bouffée d’oxygène, qui vient nous délivrer de l’inexorable ennui.
Il faut qu’il se passe quelque chose … pour passer le temps ! Et ceci n’est pas nouveau, l’être humain aime être au courant … ( au courant d’air ? ). Il y a donc ceux qui colportent. Oyez, oyez, braves gens, je viens vous mettre au courant. Je viens vous brancher, vous connecter !
Comment vous n’étiez pas au courant ? Allez, je vous apporte la nouveauté, la nouvelle information, encore jamais divulguée, le scoop ! Soyez dans l’air du temps, ne restez pas démodés, vieillots, usés, venez-vous ressourcer, j’ai plein de nouveautés dans mon panier !

Tout se renouvelle perpétuellement, les cellules, la peau, les cheveux, les feuilles des arbres, les saisons … Mais tout s’érode aussi, vieillit, meurt ! Vient un temps où plus rien ne se renouvelle et c’est la mort. C’est le temps qui a passé !

Et pour garder toutes nos ressources, notre jeunesse éternelle, on puise dans les nouveautés. Le commerce, qu’il soit de biens, de services, d’informations est devenu notre pourvoyeur. Nouveau, nouveau, résonne dans nos têtes. Si c’est nouveau, c’est bien !
Et le web n’échappe pas à cette règle. Nouveau service web 2.0, nouvelle fonctionnalité, des news partout sur les sites, Actualités, actualités, nous sommes dans l’air du temps. On respire de plus en plus vite, on se renouvelle !

Et bien moi, il y a des jours, où j’aime regarder le temps qui passe dans son immuable rythme. Il y a des jours, où je ne veux rien de nouveau, il y a des jours, où je ne veux pas être au courant, je ne veux rien savoir de plus ! Je ralentis la respiration pour être au rythme de la terre. Je me déconnecte pour ne pas étouffer sous les inspirations et expirations frénétiques de l’air du temps et je regarde les “choses” vieillir.
Je préfère finalement les marchands de rêves aux marchands de nouveautés. Mais c’est le neuf qui marche et qui fait rêver. Regardez mes belles chaussures, elles sont toutes neuves. Les sandales usées ne sont pas aimées. Et pourtant que de chemin parcouru avec. Mais c’est du passé, du vieux, de l’usagé …enfin, c’est ce que l’on croit, car ces sandales là, tous les jours elles se renouvellent, usure après usure, déformation après déformation. Les rides des vieillards sont chaque matin nouvelles, différentes de la veille.
C’est peut-être cela que l’on n’arrive plus à voir, du neuf dans le vieux, de la nouveauté dans l’usure. Ce qui s’érode laisse apparaître du nouveau, bien sûr, puisque tout change perpétuellement. En relisant un texte ancien, j’y vois du nouveau. En plongeant dans la mémoire du web, j’y trouve des perles neuves. Cette rivière qui s’assèche laisse voir de splendides formations rocheuses. En regardant et en aimant ma mère qui se flétrit, je la découvre encore et encore. Et de temps en temps, juste prêter l’oreille à l’air du temps, juste un peu, à défaut d’être consumer par le flambant neuf !
En prenant le temps de vieillir, en épousant le temps qui passe, on s’aperçoit au final, qu’il y a bien nouveauté perpétuelle, mais différente, moins énergétivore, moins consommatrice …de temps. Une nouveauté adaptée au temps terrestre et humain. Et si j’aime les gens et les choses, j’aime leurs usures, leurs faiblesses, les forces qui s’en vont, et qui laissent découvrir de nouvelles richesses, et même de nouvelles forces insoupçonnées. C’est peut-être bien simplement aimer la vie telle qu’elle est et non pas telle qu’on voudrait qu’elle soit, lisse et sans saveur, jamais usée, toujours neuve, extirpée des rides du temps. C’est une drôle d’idéologie, non, une vie sans vieillesse, sans accident et sans usure ? N’est-ce pas justement mortifère d’aller à contre-courant du temps ? Et cette soif de nouveautés toujours neuves est puisée aujourd’hui dans une fontaine de jouvence, qui jaillit de partout de peur de finir en mare croupie. Et si c’était le contraire ?