J’ai une théorie, mais elle ne colle pas aux faits.
Cela fait longtemps que je crois que tout ce qui est fait avec amour et avec passion est obligatoirement bon pour soi et pour les autres. J’en suis intimement persuadée, une croyance forte qui me tient. J’en parle peu et chaque fois que je mets cette croyance sur la table, elle s’écroule, chaque fois que j’essaie de l’ériger en vérité, les exemples viennent contredire ma théorie. J’en suis chagrinée, mais c’est la dure réalité.

Un objet fabriqué avec amour, temps, patience, habileté, de son propre chef, n’est-t-il pas merveilleux, beau, n’y voit-on pas là le bel ouvrage ? Ne réchauffe-t-il pas nos cœurs, même posé négligemment sur un coin de meuble.

En ces temps de cadeaux, de jouets, ma théorie est soumise à dure épreuve. Il y a belle lurette que les objets ne sont plus uniques et qu’ils sont manufacturés à la chaîne dans des conditions plus que douteuses. Et pourtant l’enfant n’a l’air d’y voir que du feu. Le jouet a autant d’attrait, si ce n’est plus, qu’une petite maison en bois construite par la mère ou le père pendant des jours. L’enfant est heureux avec son jouet plein de larmes.
Le ballon reste un ballon, qu’il soit cousu main avec amour ou cousu main à la chaîne dans les pleurs ravalés par des enfants qui triment 12 heures par jour.

Oh objets, n’avez-vous donc pas d’âme ?

Autre exemple, la joaillerie, quel beau métier, quel art ! Un diamant superbement taillé et serti d’or, c’est magnifique. Et pourtant que de différence entre un chercheur d’or à son compte, un mineur autonome et des esclaves travaillent dans les mines. Une différence inouïe entre un être libre ayant choisi par passion la mine ( oui, il en existe, en Australie, par exemple) et un être soumis aux ordres inhumains de propriétaires. Mais hélas, le diamant reste un diamant, personne ne sait à sa vue dans quelles conditions il a été trouvé. Et le joaillier le travaille sans se soucier de sa provenance. Le diamant éclate de mille feux même si le découvreur a été tué parce qu’il tentait de s’enfuir de la mine. L’objet ne parle pas. L’objet ne parle plus.

Oh objets, n’avez-vous donc pas d’âme ?

Est-ce nous qui ne savons pas rentrer en résonance avec l’objet ou est-ce que vraiment la matière est indifférente aux souffrances humaines ?
J’aimerai tant savoir parler aux choses …

Est-ce parce que je sais que cette robe est faite par des jeunes filles qui se retiennent d’aller aux toilettes par obligation 14 heures durant, que je suis dégoûtée de la porter ou bien la robe me parle-t-elle ? Non, la robe ne me parle pas, c’est parce que je sais.

Et malgré tout, je veux encore croire à ma théorie, je veux encore croire que l’objet fabriqué avec amour nous portera bonheur, uniquement par la façon dont il a été créé, je veux encore croire que nous puissions le reconnaître.