Le commandement d’être soi-même est de plus en plus implicite dans les temps actuels.

Des magazines new age ou post new age, des séminaires dit spirituels jusqu’au management d’entreprises en passant par les diverses psychothérapies, méditations et les slogans publicitaires, partout ça ordonne d’être soi-même, de trouver sa place, de conduire sa vie en héros et de faire de sa vie un espace d’accomplissement de soi.

Quelle injonction paradoxale dans un monde de plus en plus mécanisé, où justement tout est fait pour nous dépouiller de nous-mêmes, où l’on nous demande des actions de plus en plus robotiques, pour arriver à s’insérer dans la société, trouver enfin cette fameuse place.

Sois toi-même mais bien comme il faut, toi-même mais comme on te dit d’être toi-même.

Cette injonction paradoxale de trouver son soi-même rend hélas nombre de gens malheureux. Le malaise est grand, et les drogues chimiques déferlent dans les cerveaux pour atténuer la souffrance de n’être pas soi, de ne pas avoir trouver sa place et de ne pas savoir s’accomplir. Drogues, stages de développement personnel, coaching, des milliers de vidéos et de sites web spirituel machin chose, chacun, chacune, cherche de quoi apaiser la douleur d’être un simple humain mortel qui ne sait pas qui il est.

Il y a de quoi semer la confusion et qui dit confusion, dit hébétement, paralysie, douleur, ou affolement, dispersion, et toujours la douleur.

Certes, tout ceci n’est pas nouveau. Sur le temple de Delphes était écrit « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux »

Mais c’est comme si un retournement avait eu lieu, retournement qui n’est pas non plus nouveau, qui s’est exacerbé depuis la mécanisation et rationalisation des processus de production, rejetant la part de création du processus lui-même. La programmation mentale s’est aussi intensifiée, plus on connaît les modes opératoires de notre mental, plus on use de leviers de manipulation … et à grande échelle aujourd’hui par les médias papiers et télévisuels (encore) et les médias Internet.

Anesthésiés et dépossédés de notre bon sens, de notre aiguillage interne, nous ne voulons pas voir la violence ou plutôt nous ne pouvons plus la voir, cette violence qui fait proclamer par exemple, que telle personne s’en est sortie … sortie d’où ? De sa condition sociale initiale. Cela peut être tel jeune dit de banlieue, qui par l’école ou pas et la force de son mérite personnel, a réussi à s’élever dans l’échelle sociale, soit en devenant sportif de haut niveau, entrepreneur ou amuseur public. Cela peut être tel cadre supérieur ou pas, qui lassé par son boulot sans sens, trouve la force de tout quitter pour initier une ferme en permaculture, faire le tour du monde ou s’acheter un camion pour monter un food truck. L’objectif étant de s’en sortir, sortir de cette vie de malheur pour devenir quelqu’un d’accompli et qui sera montré en exemple.

Regarde, toi aussi, si tu le veux, tu peux, tu peux devenir quelqu’un d’autre ! Chouette programme, qui dit en sous-entendu, si tu ne le fais pas, tu es une sous-merde … et qui dit dans un autre sous-entendu, mais fais gaffe, si tu dévie de ta voie, y’a la rue qui te guette … Voilà, bien tranquille, bouge pas, mais bouge quand même !

La seule issue dans ce monde de fou est pour certains de se diriger vers la religion ou le « spirituel », que je mets entre guillemets (remarque j’aurai pu mettre aussi religion entre guillemets). Chercher du réconfort dans l’absurdité journalière, se dire que l’amour va tout résoudre, attendre les messages des maîtres ascensionnés, trouver son âme jumelle, mettre en route la loi d’attraction, etc etc etc …

Pas étonnant alors que pullulent les gourous new age et post new age, tant la demande est de plus en plus forte. Sur Youtube et Facebook c’est à qui sera le plus dégoulinant de bons sentiments et d’injonctions à l’amour universel. Et bien sûr, avec le fameux slogan implicite, deviens toi-même, développe toi personnellement, ose être toi, etc etc etc … C’est exactement le même processus que la réussite dit sociale, ici, c’est la réussite dit spirituelle, quoique celle ci soit bien souvent perçue comme un moyen d’atteindre la réussite sociale. Si je suis bien la loi d’attraction comme il faut, je vais devenir riche et célèbre, chut, faut pas le dire, mais c’est mon objectif inavoué. L’abondance, ah, l’abondance, la manne divine qui te tombe du ciel parce que tu t’es bien comporté spirituellement. Presque tout le monde attend les bienfaits du bon dieu ou de l’Univers. Puisque dans ce monde rationnel et matériel, je n’arrive à rien, je n’arrive pas à être heureux, oh, faisons en sorte que les anges viennent nous combler … matériellement en premier quand même.

Il en est d’autres qui désirent ardemment l’éveil, comme c’est appelé dans les milieux autorisés. Je suis endormi et oh, miracle, je vais m’éveiller de ce cauchemar terrestre et je serai heureux à tout jamais.

On peut trouver toutes sortes de nuances dans ce grand bazar du Ciel, mais le désir sous-jacent est de changer pour enfin devenir soi-même. Avant, et encore aujourd’hui pour les religions encore présentes, le but c’était le Paradis, donc un devenir après la mort, on essayait, essaye, de se comporter selon les dogmes et les préceptes pour obtenir une bonne vie après. Pour ceux qui croient à la réincarnation, c’est aussi se conformer à des préceptes, pour ne pas se réincarner après. Pour les rationnels occidentaux, c’est tenter de devenir dans cette vie (remarque on se rapproche). Devenir, toujours devenir.

On revient donc par cette voie spirituelle aussi au, Toi-même, le slogan, la fourberie des temps modernes. Parce que c’est autre chose de devenir soi-même et de se connaître soi-même.

Se connaître soi-même, c’est comprendre la programmation, soulever les voiles du programme et voir que moi-même n’est pas autre chose que toi-même. Que ta personne, ton masque individuel est magnifique et insignifiant à la fois comme les autres masques, ni plus ni moins. Quoique tu fasses, jusqu’à ta mort, tu es dans cet espace et dans ce temps là, tu ne peux pas devenir autre chose que ce que tu es là. La souffrance n’est pas exemptée d’ailleurs, pas facile de démasquer son personnage chéri, surtout celui en devenir, celui que l’on voudrait être.

Le drame de notre temps, c’est que la force de vie universelle que nous portons toutes et tous (puisque nous sommes en vie), est de plus en plus coincée dans des couches de programmation de plus en plus subtiles. Cette injonction au devenir et même à être (sans connaissance de soi) nous amène dans une impasse. Elle nous joue un beau tour d’illusion, mettant en avant notre personne au lieu de nous faire découvrir notre universalité et les liens profonds qui nous réunissent.

Il est sûr que si nous arrivons à cette connaissance du soi, cela mettrait en péril le monde tel qu’il est, parce qu’un acte qui vient de ce même, ne peut être alors qu’un acte de création joyeux et amoureux. Tu ne peux pas faire du mal à toi-même quand tu es conscient du jeu.

Mais ce dévoilement successif des apparences du personnage demande du courage, il peut être douloureux à incarner et assez terrible à supporter quand l’autre, qui est toi-même, encore dans les voiles obscurs, s’acharne à répandre le malheur.

Reste à parier que l’intelligence artificielle va nous aider à dévoiler les mascarades de nos personnages, en nous renvoyant le reflet outrancier de nos programmations aussi bien mentales qu’émotionnelles.

Nous voyant dans le miroir, comme des robots cherchant sans cesse à se perfectionner, pour devenir le meilleur jouer de Go, le meilleur athlète, le guerrier le plus tueur, l’intelligence la plus cynique, (l’ironie serait la création d’une IA mystico spirituelle sans cesse en recherche d’un meilleur), peut-être parviendrons-nous à nous dégager du devenir.