En regardant les images de la Million Mask March sur Twitter, je suis tombée sur ce tweet

Cette image m’a tout de suite interpellée et j’ai dit en conversation: « toutes les contradictions de notre époque en une seule image … »

Adrienne Alix a repris ces propos et depuis cela a été retweeté, mis en favoris, dans les 300 fois, et pas mal liké sur Facebook aussi, et ça continue à tourner … Alors je m’interroge ? Je ne m’attendais pas à autant d’ « approbation », cette image touche quelque chose de profond en nous, si on est tant soi peu sorti du cynisme de notre époque. (peut-être que certains ont vu : ah, tu vois, même ces anarchistes de pacotilles ont besoin du système?)
Quant à moi, j’ai l’impression quelle est le symbole du désastre, de l’étendue des dégâts, de « la boucle est bouclée ». En cette journée d’hommage à Albert Camus, elle résonne étrangement avec le mythe de Sisyphe …
Bien sûr, certains peuvent penser que ces anonymous qui manifestent sont écervelés, qu’ils pourraient utiliser des masques DIY en papier ou autre, qu’ils ne sont pas conscients de l’esclavage pour fabriquer ces produits. Je serai moi-même très heureuse que tous ces masques soient brûlés et qu’à la place d’autres masques éthiquement produits soient utilisés.

Mais le propos n’est pas là, c’est bien plus profond, bien plus révélateur. Nous sommes tous accrocs ! Et c’est là que ça nous touche. Nous sommes tous accrocs aux objets numériques, aux moyens de transport, à des millions d’objets de consommation (la liste est trop longue pour la détailler), accrocs, accrocs à cette société qui produit mal, qui n’est plus durable en tout, qui, pourtant on le sait, va droit au mur. (Tiens, ce que je dis, me fais penser à du Bernard Stiegler ^^) Mais oui, c’est la réalité, même si de plus en plus de gens tentent de faire autrement, nous sommes piégés. Cette photo nous montre le piège, la roue du hamster ! Le symbole de la liberté retrouvée, le masque de Guy Fawkes, fabriquée par des esclaves en Asie. C’est assez terrible, terrifiant même. La dépendance à la monstruosité de notre système qui récupère tout, avale tout, un monstre qui ratisse le moindre espace de nos libertés possibles. Désespérant !

Je ne veux pas rester sur cette image désespérante, si elle représente les contradictions de notre époque, elle représente aussi justement notre envie de s’en libérer.
Il va nous falloir du courage, il nous faut du courage ! Aller traquer en nous nos dépendances, nos illusions, et c’est douloureux. Mais quelle libération, quand on parcourt ce chemin de la conscience, et que l’on retrouve nos forces, on se sent heureux d’être conscients. Même si on se trompe, même si on continue avec notre addiction mais qu’on le sait, petit à petit des pistes nouvelles émergent, on trouve des solutions, on diminue la dépendance. Le monde a besoin de notre conscience, de notre bon sens. Je crois que c’est une des voies possibles, arrêter de s’illusionner, de mentir et de se mentir, regarder en face qui nous sommes, même si ce n’est pas plaisant. On a tous des monstres en nous et c’est pourquoi le monde est monstrueux. Inutile de culpabiliser, de se morfondre, juste du courage pour le voir. Ce n’est pas nous au fond qui sommes monstrueux, nous sommes à la naissance plutôt inoffensifs 🙂 ce sont les jugements perpétués depuis bien longtemps, adaptés et réadaptés à chaque génération selon les sociétés et les cultures qui nous envahissent et nous font croire qu’il en est ainsi pour se lier, se relier et faire société. Depuis des siècles, nous sommes dans un jeu de relations humaines de dominants et dominés. Tour à tour, l’un ou l’autre, dans l’instant d’une vie. C’est le piège. Il est temps d’en sortir. Et en ce 21ème siècle, nous sommes arrivés à une grande complexité dans nos échanges, dans nos relations, il est difficile d’y voir clair. Difficile de savoir si mon action, qu’elle soit d’achat, de vente, de don, de dialogue, etc, est exempte de domination ou de servitude. Et pourtant en tentant d’être conscient, tous les jours, avec acharnement, discipline, on y arrive. Il ne s’agit pas de s’autoflageller mais de corriger, par essai, erreur, et de temps en temps d’y arriver. Et plus on réussit, plus on réussit ! 🙂
Chacun a son chemin de conscience à faire selon son propre vécu, son enfance et chacun a donc sa propre voie, créativité à partager dans la conscience. L’émancipation individuelle a un impact sur le monde. Elle change le jeu de nos relations. Nous sommes, nous humains, des êtres de relation, nous sommes rien tout seul. Et paradoxalement c’est grâce à la solitude, par le courage d’interroger le tréfonds de notre être que nous pouvons améliorer nos relations et créer une société plus conviviale.

Pour certains je vais certainement radoter 😉 , mais oui, pour s’émanciper, retrouver nos moyens propres d’agir, créer de nouvelles richesses respectueuses de la vie, le revenu de base est un des leviers principaux. En sortant de la peur de mourir seul sur un trottoir (oui, j’y vais fort, mais c’est bien de cela qu’il s’agit), en ayant donc un revenu d’existence (puisque pour le moment c’est l’argent qui est indispensable, il pourra en être autrement dans le futur, qui sait), nous pourrons plus largement emprunter ces nouvelles pistes, comme des aventuriers.

Pleins, sont déjà en chemin, dans l’économie collaborative, contributive, sociale et solidaire, les logiciels libres, le partage non marchand du savoir et de la culture, le Do It Yourself et Together, les monnaies libres, etc … Nous sommes beaucoup sur les chemins de l’émancipation et de la solidarité, mais soyons vigilants ! Le système broyeur ratisse si large qu’il est indispensable de faire la route ensemble et en conscience, sinon nous ne sortirons pas du piège. C’est difficile, certainement douloureux, mais nous ne pouvons pas éviter l’aventure intérieure si nous voulons que notre aventure extérieure, celle que nous présentons au monde, nos actions, soient dignes d’un être humain accompli, fraternel et solidaire. En ce siècle de morosité, de peur, de « à quoi bon », quoi de plus réjouissant que de se lancer dans une aventure, même et surtout si semée d’embûches (sinon ce n’est pas une aventure), quoi de plus exaltant ! Sortons de la tiédeur, du fatalisme et osons ! Go ! 🙂

Post Scriptum : comme quoi une image désespérante peut trouver un second souffle, je ne pouvais pas rester avec cette image qui depuis hier me donnait des cauchemars

[edit 8/11/2013]
ce jour les anonymous répondent (j’adore, comme si les anonymous avaient un chef, donc, certains humains faisant partie du mouvement répondent) ici : An open letter to the media, by Anonymous
En Angleterre, cette image a été dénoncée par les médias et fait beaucoup plus de buzz qu’en France. Les anonymous expliquent que cet atelier est au Brésil et que les journalistes anglais n’ont pas pris la peine de se renseigner sur les conditions de travail. De plus, le plus problématique sont les droits de la Warner Bross et donc acheter ce masque fait faire du profit à justement ce que les anonymous dénoncent. Ils disent qu’ils avaient averti avant, en disant que chacun pouvait venir comme il voulait aux manifs et de ne pas acheter ce masque. Ensuite ils critiquent l’hypocrisie des journalistes qui utilisent pleins d’objets fabriqués par des esclaves.

Je comprends qu’ils tentent de rectifier la vérité, mais encore une fois, je pense que ce n’est pas le propos. Cette image, sans contexte (on ne sait pas où c’est) est vertigineuse de toute façon. Il n’y a pas que les conditions de travail, il y a aussi la pollution, la toxicité, le matériau, le transport, les droits privatifs d’une industrie soi-disant culturelle, … Elle représente toute notre addiction à notre système moribond, à la consommation et au pétrole, face à l’image de la libération de ses chaînes que représente le masque. Et qu’importe de s’accuser les uns les autres de cette hypocrisie. On ne connait pas les intentions premières de ce journaliste qui a sorti cette photo, mettre à mal le mouvement anonymous, montrer les limites des contestations, ou bien était-il pris de vertige aussi devant l’implacable ? Les anonymous se sont sentis attaqués et donc répondent en accusant les journalistes des médias de se procurer aussi ces objets qui tuent les ouvriers et la planète à petit feu. La réalité pointe son nez, mais rien ne sert de s’accuser, nous sommes tous dans la même galère, la même planète. Nous sommes tous dans nos contradictions, on ne peut échapper à cela actuellement. Donc je ne retire rien au texte écrit hier, et je rajouterai que nous devons ensemble en être conscients, démarrer par la conscience, comprendre les mécanismes de notre addiction, de notre “je ne veux pas savoir”, de nos dominations, de nos servitudes, et petit à petit en découvrant et en sachant, en ayant les yeux bien grands ouverts, changer nos modes d’actions et créer de nouvelles richesses respectueuses de la vie au sens large.